Cérès et Vesta

Vesta et Cérès sont deux astéroïdes situés à la bordure du système solaire intérieur. Deux mondes peuplés de colons, obligés de collaborer pour survivre au sein d’un milieu hostile. Jusque-là, rien n’est venu interrompre le flux des ressources, essentiellement de la glace et de la roche, échangé entre les deux colonies. Et pourtant, une grave crise sociale sur Vesta s’apprête à rejaillir sur Cérès, ternissant la bonne entente entre les deux mondes. Parmi les descendants des fondateurs, les Sivadier sont en effet l’objet d’une discrimination tenace, les poussant peu-à-peu à l’exil, non sans avoir tenté de résister auparavant en se livrant à des actes de sabotage. 4000 d’entre-eux sont en transit, passagers clandestins au cœur de la « rivière de pierres » irriguant les deux astéroïdes. De quoi occuper pour les trois ans à venir Anna, chargée de réceptionner les réfugiés sur Cérès. À la condition qu’un incident ne vienne aggraver les tensions avec Vesta.

Parmi ses nombreuses occurrences, la science-fiction se révèle un formidable générateur de métaphores politiques, dans la meilleure acception du terme, interrogeant notre présent à la lumière d’univers futuristes. Avec Cérès et Vesta, on entre de plain-pied dans cette stratégie, troquant le vertige conceptuel contre une émotion plus altruiste. Habitué du Bélial’, Greg Egan se frotte à l’exercice faisant mentir sa réputation d’auteur de hard-SF, plus intéressé par la froideur clinique des extrapolations que par la chaleur humaine.

Comme le titre anglais de la novella le suggère, la thématique développée dans Cérès et Vesta se fonde pour l’essentiel sur un dilemme moral. Comment doit réagir Anna face à l’ultimatum lancé par Vesta ? Avant d’arriver à ce stade de l’histoire, Greg Egan recompose les différents éléments de la crise, retraçant la mise à l’écart des Sivadier sur Vesta, via le point de vue d’une de ses victimes, Camille. Anna et Camille deviennent ainsi les deux pôles du drame, ramenant ses enjeux à hauteur humaine.

Le calvaire vécu par les Sivardier évoque bien entendu les persécutions subies par les Juifs, même si Greg Egan passe un peu rapidement sur le motif de leur exclusion. Tout au plus comprend-t-on qu’il s’agit d’une opposition de classe, les détenteurs de brevet contre le peuple laborieux, étendue à tous les membres d’une même lignée génétique. De quoi faire le lit des populismes.

L’auteur australien semble cependant plus intéressé par le processus conduisant à l’éviction des Sivardier que par les arguments déployés par leurs adversaires. Peut-être est-ce volontaire, histoire de dénoncer leur caractère irrationnel, monté en épingle par un discours de haine ? Il s’attache également à donner un aperçu de leur résistance, hélas vouée à l’échec, et n’étant pas sans poser un autre dilemme.

Bref, rien de neuf sous le soleil, et le cas de conscience frappant Anna ne vient pas arranger les choses. Bien au contraire, confrontée à l’ultimatum de Vesta, la voilà contrainte de choisir entre deux maux. Lequel est le moins pire ? N’y a-t-il pas une alternative plus douce, capable de sauver les vies de tout le monde ? La logique, celle du nombre et des algorithmes, semble s’imposer. Mais, face au raisonnement mécanique prôné par les machines répond l’empathie de l’humain, empêtré dans les circonvolutions de sa conscience et de ses interactions sociales. Car s’impliquer conduit à renoncer à l’objectivité.

« Oui, il y a une place pour les algorithmes qui soupèsent des nombres et qui prennent des décisions sur cette base – mais si les hypocrites qui vous accusent de vanité morale voulaient vraiment que tout soit géré de cette manière, ils auraient dû laisser le pouvoir à leurs précieux algorithmes et déclarer qu’ainsi, leurs problèmes étaient résolus pour toujours. Si vous aviez refusé l’arrivée de l’Arcas, vous auriez détruit, pour vous-mêmes et tout le monde de Cérès, tout ce qui donnait un sens réel à ces chiffres. »

Au final, avec ce septième volume, la collection « Une Heure-Lumière » confirme tout le bien que je pensais d’elle. Cérès et Vesta se révèle un récit intelligent dont le positionnement moral n’écarte pas l’émotion. Libre à chacun maintenant d’interroger sa conscience, et de boire un coup, parce que c’est dur.

Article signalé et chroniqué ici aussi.

Cérès et Vesta (The Four Thousand, The Eight Hundred, 2015) de Greg Egan – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », 2017 (novella traduite de l’anglais [Australie] par Erwann Perchoc)

2 réflexions au sujet de « Cérès et Vesta »

  1. Même ressenti sur cette novella.

    En dépit des thèmes déjà traités, ils le sont sous un prisme intéressant et c’est toujours bien de les rappeler.

    En tout cas, encore une bonne découverte dans cette collection.

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