Le Karaté est un état d’esprit

John Kaimon semble frappé par le mauvais sort. Un père devenu fou, une mère morte à sa naissance, écrasée par un camion transportant des poulets, son existence se résume à une suite de malheurs présidée par la déveine et la dèche. Après avoir vécu à Mexico dans une communauté à la recherche du dénominateur commun de l’amour, quête ne lui ayant rapporté que deux sévères chaudes-pisses et une hépatite ; après avoir côtoyé un gang de motards nazis qui l’ont circoncis, violé par la bouche, l’anus et les aisselles, il a fini par échouer sur un bout de plage en Floride, avec quelques bricoles et un pull à l’effigie de William Faulkner en guise de bagages. Le temps de rejoindre un groupe dirigé par Belt, un lâche certifié par l’armée dont le credo se résume à promouvoir le karaté comme l’arme de défense ultime. Hébergé dans un motel désaffecté, il commence ainsi son entraînement, le courage et l’abnégation se conjuguant à l’attirance pour la seule fille du groupe, une ancienne reine de beauté en bikini jaune aussi redoutable que mystérieuse.

Quatrième roman de Harry Crews, Le Karaté est un état d’esprit ne dépare pas dans l’œuvre de l’auteur américain. Déjanté et déviant, tel pourrait être le résumé en deux mots d’une intrigue minimaliste se contentant de raconter l’histoire d’amour improbable entre un abîmé de l’existence et une jeune femme ayant décidé de devenir autre chose qu’une potiche. Sur un bout de plage bordé par l’autoroute, entre une immense foire improvisée pour la fête nationale et la piscine asséchée d’un motel délabré, en passant par un night club pour gays, l’auteur nous raconte la métamorphose d’un paumé. Une mutation en forme de révélation, mais ne résistant guère au principe de réalité de sa condition de sous-prolétaire, bien éloignée du rêve américain.

Le Karaté est un état d’esprit abonde ainsi en personnages lunaires et grotesques, du maître mutique, franc-tireur des arts martiaux et tire-au-flanc, aux prédateurs en tout genre. Le roman de Harry Crews recèle aussi des scènes surréalistes, de vrais morceaux de bravoure comme cette grande foire organisée sur la plage, sorte de barnum vulgaire et bordélique où se déchaîne une foule inquiétante. On retrouve ainsi les thèmes et motifs habituels chez l’auteur américain, la monstruosité, les déviances diverses, la marginalité, l’aveuglement menaçant de la foule et l’impossibilité à se sortir de sa condition pour la frange la plus déshéritée de la société. Harry Crews ne peut toutefois s’empêcher de nourrir une certaines tendresse pour ses personnages, en dépit de sa propension à la raillerie et à la farce.

Le Karaté est un état d’esprit a donc incontestablement toutes les qualités pour ravir l’amateur de Harry Crews, même si l’intrigue tourne un peu au bordélique sur la fin, échappant un tantinet à son auteur.

Le Karaté est un état d’esprit (Karate is a Thing of the Spirit, 1972) de Harry Crews – Sonatine Éditions, 2019 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Patrick Raynal)

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