Le Magicien Quantique

Belisarius Arjona est un Homo quantus. Autrement dit, un mutant conçu en laboratoire pour un usage bien précis. Lorsqu’il commute son esprit en fugue quantique, le bougre met de côté sa subjectivité et peut ainsi utiliser ses formidables capacités cognitives pour faire jeu égal avec un ordinateur quantique. Hélas, comme la plupart de ses congénères, Belisarius s’est retrouvé sur la touche, incapable de répondre aux besoins auxquels on le destinait, mais pourvu de la faculté de distinguer les différents états de la matière sans entraîner leur effondrement en une seule réalité. Fuyant son laboratoire natal, il s’est épanoui en pratiquant l’activité d’arnaqueur, domaine pour lequel il est devenu LE magicien. Fort de cette réputation, le voilà contacté par une nation vassale souhaitant faire transiter une flotte de guerre sans s’acquitter du droit de passage qu’on lui réclame. Un défi qu’il s’empresse de relever d’autant plus rapidement que cette flotte recèle un secret suscitant bien des convoitises, y compris la sienne.

En lisant Le Magicien Quantique, on se rend vite compte que l’avenir n’est que la continuation du présent par d’autres moyens. Le futur de Derek Künsken ne diffère guère en effet de notre présent où la géopolitique, la foi, l’instinct de prédation et l’appétit de pouvoir conduisent le monde vers des lendemains qui déchantent. Un avenir où seules les individualités déterminées, dénuées d’état d’âme, mais cependant toujours pourvues d’une once d’humanité, peuvent espérer tirer leur épingle du jeu pervers impulsé par le darwinisme social. Des marginaux qui, à l’instar du blondin de la trilogie du dollar de Sergio Leone, ont renoncé à changer le monde, préférant cultiver leur intérêt bien compris. Dans l’avenir imaginé par l’auteur canadien, le contrôle des ressources s’est ainsi étendu au réseau de trous de ver établi par les Précurseurs, une espèce extraterrestre tellement ancienne qu’elle a disparu (poncif, quand tu nous tiens). Rien de neuf sous les multiples soleils de la SF, mais également de la géopolitique appliquée au futur, puisque ce réseau, en favorisant le commerce, renforce aussi l’emprise des nations les plus fortes sur les nations les plus faibles, devenues par voie de conséquence leurs vassales et leurs clientes. Source de fructueux profits, ce système néo-féodal permet ainsi d’externaliser les conflits résultant de la lutte pour le contrôle des points d’accès au réseau de trous de ver.

Sur cette trame guère originale, Derek Künsker technoblablate, montrant sa grande connaissance et maîtrise de la théorie quantique dans de longs tunnels abscons qui tendent à rendre la narration illisible aux moment cruciaux. Un déchaînement pyrotechnique d’armes à la puissance inégalée, de moyens de propulsion révolutionnaires, de morceaux de bravoure spéculatifs qui tentent de faire oublier le caractère convenu et « fabriqué » de l’intrigue, sans vraiment convaincre complètement. Si Le Magicien Quantique devait se réduire à cela, nul doute qu’on s’ennuierait ferme. Fort heureusement, l’auteur canadien s’efforce d’impulser un peu de légèreté au récit, en adoptant un ton décontracté où l’humour sert de viatique au lecteur agacé par l’aspect convenu de l’intrigue. Au côté de Belisarius et de son ex-compagne, elle-même Homo quantus, on retrouve ainsi une belle galerie de stéréotypes choisis en fonction du rôle qui leur est assignés dans la réussite du plan. Il recrute d’abord un Homo eridanus, chimère génétique misanthrope au langage fleuri, apte à plonger en eau très profonde. Il fait aussi s’évader de la prison où elle croupissait, une ex-sous off experte en explosifs et convainc une I.A. prosélyte de rejoindre le groupe afin de se charger de la partie piratage informatique de son stratagème. Il complète enfin l’équipe avec un généticien chargé d’introduire des modifications dans l’ADN de deux volontaires dont la mission consiste à infiltrer le sanctuaire de la Fédération des théocraties fantoches, un État où les ressortissants vivent dans une sorte de symbiose sado-masochiste avec leurs patrons humains. Ces Homo pupi, génétiquement modifiés afin d’atteindre l’extase religieuse au contact des phéromones émis par leurs maîtres, se révèlent sans aucun doute comme l’un des points les plus fascinants du roman de Derek Künsker, donnant lieu à quelques passages déviants appréciables.

Le Magicien Quantique est donc un condensé de roublardise, mélange habile de hard SF et de thriller, formaté pour plaire au cœur de cible de la science fiction. Un roman digne d’un long scénario de l’Agence tout risque, certes perclus de clichés et de technoblabla, mais qui parvient pourtant à susciter l’intérêt, notamment grâce à cette société fantoche dont la ferveur religieuse se révèle un opium du peuple pervers et malsain.

Plus d’avis ici.

Le Magicien Quantique (The Quantum Magician, 2018) de Derek Künsken – Éditions Albin Michel Imaginaire, février 2020 (roman traduit de l’anglais [Canada] par Gilles Goullet)

2 réflexions au sujet de « Le Magicien Quantique »

  1. Le résumé est quand même excellent. Ah, c’est dur de lire ta critique : on sent que l’on peut bien se divertir à la lecture du bouquin mais aussi peut-être trouver ça très nul. Un bouquin à emprunter.

Laisser un commentaire