La Fille qui se noie

La Fille qui se noie fait l’objet d’une réédition chez Albin Michel Imaginaire après une première parution dans l’éphémère collection « Eclipse » des éditions Panini. Voici une belle occasion d’approfondir notre connaissance de l’œuvre de Caitlin R. Kiernan, après la fascinante et étrange novella Les Agents de Dreamland. De quoi également satisfaire une curiosité passablement déviante, titillée par la promesse de trois cent pages de fantastique lorgnant du côté de la littérature gothique.

« Le poème est un mensonge qui dit toujours la vérité. » À l’image d’un poème, La Fille qui se noie est un roman qui ne se résout pas à se livrer sans une lutte âpre, oscillant entre lyrisme macabre, fantasme et métaphore incarnée sous les auspices du fantastique. Un work in progress dont on essaie de relier les différentes trames en dépit du jeu trouble d’une narratrice dont on apprend progressivement à se méfier. Mais, peut-être a-t-on tort de chercher à rationaliser à tout prix les dires d’India Morgan Phelps ? Peut-être devrait-on définitivement lâcher prise et se laisser porter par la prose vénéneuse de Caitlin R. Kiernan ?

Reprenons. India Morgan Phelps, appelons-la Imp pour simplifier, habite à Providence où elle tente de vivre de son art. Artiste peintre, elle reste fascinée depuis son enfance par un tableau entrevu au musée, une œuvre de Phillip George Saltonstall qui représente une femme nue entrant dans l’eau d’une rivière, le visage tourné vers les bois. Une menace indicible semble peser sur son existence, d’autant plus que le folklore local fait écho au ressenti d’Imp. Mais, la jeune femme n’est guère fiable, souffrant de schizophrénie. Au point de perdre le fil de son récit. D’ailleurs, est-elle en train d’écrire une histoire de fantômes, peuplée de sirènes, de loups garous et d’autres créatures monstrueuses, ou raconte-t-elle sa propre histoire, avec une propension à mêler le réel et l’imaginaire et une perception rendue lacunaire et décousue par la maladie ?

De tout ceci, Caitlin R. Kiernan tire un récit frappé du sceau de l’étrangeté où l’angoisse se substitue progressivement aux certitudes. Qui est cette fille qui se noie ? La créature peinte par Phillip George Saltonstall sur cette toile qui hante Imp au point de devenir une obsession ? La mystérieuse Eva Canning que la jeune femme rencontre dans des circonstances variant au gré de la réécriture de sa propre histoire et qui vient semer la zizanie dans sa relation avec Abalyn, la transsexuelle geek avec laquelle elle vit en couple. Ou plus simplement Imp elle-même, perdue dans les méandres de sa mémoire et consciente d’être irrémédiablement folle comme sa mère et sa grand-mère. À l’ombre de Lewis Carroll, d’Albert et Charles Perrault, mais aussi sous l’emprise chimique des médicaments et des contes de son enfance, elle perd pied, s’enfonçant peu à peu sous la surface d’une réalité lui renvoyant une image faussée. L’autre côté du miroir n’est-il pas plus enviable finalement ?

Bien malin qui saura démêler les fils du récit de Caitlin R. Kiernan. Mais peu importe, l’essentiel demeure : une histoire qui nous fait flirter avec les abîmes vertigineux de la folie. Un texte complexe et dense, justement récompensé à deux reprises par les prix Bram Stoker et James Tiptree Jr. Avis aux amateurs.

La Fille qui se noie (The Drowning Girl, 2012) – Caitlin R. Kiernan – Albin Michel Imaginaire, septembre 2023 (roman traduit de l’anglais par Benoît Domis)

3 réflexions au sujet de « La Fille qui se noie »

Laisser un commentaire