La Bouffe est chouette à Fatchakulla

Longtemps crédité pour un seul roman dans nos contrées, Ned Crabb  revient ces jours-ci avec un nouveau titre publié chez Gallmeister. On en reparlera bientôt ici-même car l’auteur m’a pour ainsi dire tapé dans l’œil. Et comme au pays des aveugles, les borgnes sont rois, voici l’occasion de reparler de La Bouffe est chouette à Fatchakulla.

A Fatchakulla, bled paumé et envasé de Floride, une série de crimes abominables a été commise, poussant la population à la paranoïa au point que plus personne n’ose sortir de chez soi, une fois la nuit tombée. Pourtant, rien ne prédestinait le patelin à devenir une succursale de Whitechapel ou du Gévaudan. Huit cent âmes au compteur, alligators et chats compris, un joyeux échantillonnage de ploucs consanguins et alcoolisés qui s’enorgueillissent d’élever des chats exceptionnels. Pas de quoi alimenter un marronnier du crime.

Mais voilà qu’on trucide, qu’on démembre, qu’on éviscère à Fatchakulla. Le représentant local de la loi, Arlie Beemis, reprendrait bien une bière, histoire de faire passer le mauvais goût qu’il a en bouche, devant le spectacle offert par les victimes, des bouts de corps déchiquetés ou mâchés. Ces meurtres sanglants semblent donner corps aux légendes – foutaises – locales, genre Willie le siffleur et d’autres entités malignes issues de la vase méphitique des marécages. Fort heureusement, Fatchakulla compte aussi parmi ses concitoyens un redoutable limier, champion incontesté de la chasse au raton laveur. Un génie dont les talents d’observation et de déduction ont permis de résoudre la dernière affaire épineuse du comté, la disparition du chihuahua de Miss Tatum. Pour Lindwood Spivey, trouver l’auteur des crimes ne sera qu’un bête problème de logique. Et en moins de temps qu’il n’en faut à un chat pour régurgiter sa pelote de poils ! Car tout le monde en convient à Fatchakulla, Linwood se débrouille ; Lindwood sait tirer les choses au clair !

Autant le dire tout de suite, l’intrigue de La bouffe est chouette à Fatchakulla ne casse pas trois pattes à un canard. Le suspense semble également le moindre des soucis de Ned Crabb, une impression confirmée par les pistes, larges et éclairées comme des autoroutes, qui jalonnent l’enquête d’un trio d’enquêteurs plus préoccupés par les bières qu’ils consomment que par la recherche d’indices. Quant aux rebondissements, ils confinent au foutage de gueule, foutage totalement assumé par un auteur plus attaché aux portraits qu’il dresse des ploucs vivant à Fatchakulla. Pas sûr que les aficionados de Maxim Chattam, Harlan Coben ou Dan Brown (pour ne citer de mémoire que ces trois faiseurs) goûtent à la plaisanterie de l’étiquette jaune canaris présentant le roman de Ned Crabb comme un thriller. Mais en même temps, cela ne peut pas leur faire de mal de lire autre chose…

Pour revenir au roman, on s’amuse énormément de la truculence des personnages et de la gouaille des dialogues, même si tout cela reste modérément à tomber par terre. On est, en effet, un cran en-dessous de la dinguerie d’un Christopher Moore. On est aussi à mille lieues du mélange de roublardise et de burlesque rural baignant Fantasia chez les ploucs de Charles Williams. Mais dans le genre, La Bouffe est chouette à Fatchakulla mérite que l’on s’y arrête et plutôt deux fois qu’une !

Bouffe_chouetteLa Bouffe est chouette à Fatchakulla (Ralph or what’s eating the Folks in Fatchakulla County, 1978) – Ned Crabb – Éditions Gallimard, réédition Folio policier, mai 2008 (roman traduit de l’américain par Sophie Mayoux)

4 réflexions au sujet de « La Bouffe est chouette à Fatchakulla »

  1. D’accord avec tout ce qui est dit ici ! Loin de monuments comme un blues de coyote ou le génialissime fantasia chez les ploucs, mais réjouissant. Une partie de sa renommée venant, je pense, du fait que c’était le seul bouquin de son auteur.
    Et la rareté joue aussi sur l’accueil du dernier chez Gallmeister.

  2. Je viens de lire le roman en anglais et ai adoré la truculence délirante et totalement assumée des personnages. Un cauchemar pour traduire en français les dialogues qui reflètent l’accent local, mais Sophie Mayoux a dû aussi y prendre un grand plaisir. Lecture recommandée !

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