Pour mon avant-dernière contribution au Challenge Lune d’encre, déplaçons-nous du côté de l’Orient, dans une Chine qui n’a jamais été.
Oyez oyez !
Dans une Chine légendaire, gouvernée par des empereurs mythiques, œuvrait un duo de héros improbables. La mémoire a retenu malgré tout leur nom : maître Li et Bœuf Numéro Dix. Redresseurs de torts, sans peur mais pas sans reproche, maître Li succombant parfois à l’ivrognerie et appréciant escroquer les riches marchands pour mener grand train, ces deux personnages ne prisaient guère l’injustice. À l’instar de Fafhrd et du Souricier gris, le duo ne se souciait guère des convenances, préférant sauver l’humble et malmener le puissant. Rusé et sage, Maître Li usait de son âge pour influer sur l’éducation à la vie du sensible et honnête Bœuf Numéro Dix, comptant sur sa force pour le soutenir dans les épreuves.
Les circonstances de leur rencontre prirent naissance dans le village de Kou-Fou, paisible communauté campagnarde frappée par un malheur le jour où deux aigrefins, Fang le prêteur sur gages et Ma le Grigou, empoisonnèrent les enfants âgés entre huit et treize ans. Le cœur de Bœuf Numéro Dix fléchit face aux cris et pleurs de leurs parents. Prenant la route vers la capitale, ses pas le portèrent jusqu’à l’officine où croupissait Li. Cachant son jeu derrière une ivresse non feinte, le vénérable vieillard ne tarda pas à trouver l’origine du mal, et ensemble, ils se mirent en quête de La Grande Racine de Pouvoir, seul remède en mesure de guérir l’empoisonnement des enfants. Une tâche qui les conduisit à affronter La Grande Ancêtre, La Main que Nul ne Voit, le terrible duc de Ch’in et bien d’autres périls. Mais, n’en disons pas plus…
À la lecture de La Magnificence des oiseaux, on ne peut manquer d’être immédiatement dépaysé. Le cadre, le ton employé par le narrateur, Bœuf Numéro Dix lui-même, et l’humour subtil dont fait montre Barry Hughart happent l’attention, nous propulsant en un autre monde et un autre temps. Un univers dont les composantes empruntent davantage à la légende qu’à la réalité historique, même si celle-ci n’est pas totalement absente. La Chine de La Magnificence des oiseaux est une Chine fantasmée à partir de l’imaginaire occidental. Un empire du milieu où les pensées de Confucius côtoient les supplices de potentats cruels et où la magie se mélange aux mythes protohistoriques.
Barry Hughart brode ainsi une fantaisie empreinte de légèreté et de folie douce, entrelaçant drame et comédie. Un florilège de contes enchâssés jalonne les tribulations du duo formé par Maître Li et Bœuf Numéro Dix, lui permettant de collecter les indices nécessaires à la résolution de l’énigme de La Grande Racine de Pouvoir, aka le Ginseng, cette plante dont la racine anthropomorphique joue un rôle important dans la pharmacopée asiatique.
L’intrigue flirte avec les ressorts du roman initiatique, mais également avec l’enquête, fournissant le socle à des rencontres rocambolesques ou effrayantes, avec toute une galerie de personnages truculents ou monstrueux. Sur ce point, Barry Hughart ne ménage pas sa peine, entre l’ex-souveraine douairière, auprès de qui la Reine de Cœur du Pays des Merveilles paraît bien débonnaire, un duc immortel et sanguinaire, un vieux sage de la Montagne énigmatique, une main invisible meurtrière, un lapin aux clefs émotif et toutes une ribambelle de fantômes, les aventures de Maître Li et de Bœuf Numéro Dix n’engendrent pas la mélancolie. Bien au contraire, elles inspirent moult facéties, le récit oscillant constamment entre farce et horreur, un tantinet grand-guignolesque.
Ne s’encombrant guère de vraisemblance, La Magnificence des oiseaux se révèle au final un conte amusant, riche en images poétiques, dont on suit avec beaucoup de plaisir les péripéties, partagé entre l’émerveillement et la stupeur. A suivre avec La Légende de la pierre.
La Magnificence des oiseaux : une aventure de Maître Li et Bœuf Numéro Dix (Bridge of Birds, 1984) de Barry Hughart – Éditions Denoël, collection « Lunes d’encre », 2000 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Patrick Marcel)