L’Éducation de Stony Mayhall

Iowa, 1968. Les tempêtes de neige sont rarement clémentes dans la région, surtout si l’on n’y est pas préparé. Wanda n’est plus du genre à se laisser impressionner par ce genre d’événement météorologique, même si elle rentre avec précaution chez elle, ses trois filles à l’arrière de sa voiture. Sur le bord de la route, elle aperçoit un monticule de neige insolite. Une jeune femme recroquevillée sur un nourrisson. Tous les deux morts, bien entendu. Elle emporte pourtant l’enfant avec elle, un petit garçon à la peau blafarde. Et, miracle ! Il revient à la vie, du moins en retrouvant un semblant de vitalité, car depuis les événements qui se sont déroulés sur la Côte Est, amplement documentés par George Romero, tout le monde connait les signes du fléau que le gouvernement et l’armée sont parvenus à juguler au prix d’une tuerie impitoyable. Zombies comme survivants ont été massacrés et l’on dit qu’une officine occulte traque encore les ultimes créatures ayant échappé à la purge, les capturant parfois pour les livrer aux expériences inavouables des laboratoires secrets du gouvernement. Pour John Stony Mayhall, rien de tout cela. Adopté par Wanda et ses filles, le bambin devient l’objet de toute leur attention. Surprotégé, de la cave de la ferme familiale où il a aménagé une bibliothèque, le jeune homme découvre en grandissant le monde, apprenant peu-à-peu ce qu’il en coûte de vivre au milieu de l’humanité.

Le roman de zombies fait partie des lieux communs de la littérature fantastique et de science fiction. Entre métaphore politique et récit post-apocalyptique, entre George Romero et Walking Dead, difficile d’échapper aux codes d’un sous-genre oscillant entre horreur pure, atmosphère anxiogène et survivalisme. Avec L’Éducation de Stony Mayhall, Daryl Gregory trouve pourtant le narrateur idéal. Le roman de l’auteur américain est en effet doublement astucieux puisqu’il prend pour personnage principal le monstre lui-même, nous faisant adopter son point de vue, tout en transposant la structure du récit d’apprentissage au contexte d’un roman horrifique. Inspiré du film de Romero La Nuit des morts-vivants, le récit présuppose que l’événement s’est réellement produit dans l’univers de Stony. On obtient ainsi une sorte d’uchronie fictionnelle où le gouvernement américain pourchasse des zombies devenus conscients après une période de fièvre cannibale, les contraignant à la clandestinité. Mais, s’ils ne sont pas fondamentalement des monstres affamés, les zombies chez Daryl Gregory n’en demeurent pas moins une menace pour l’humanité, d’autant plus qu’il n’existe aucun remède contre le virus transmis par leur morsure. Un danger bien réel,  renforcé par la volonté de certains d’entre-eux, adeptes de la Grande Morsure, de diffuser le fléau dans le monde afin de garantir leur propre survie.

En dépit de son propos désabusé, L’Éducation de Stony Mayhall se révèle au fond un roman généreux et chaleureux. En adepte du show don’t tell, Daryl Gregory distille l’information, déroulant son intrigue au cours d’un crescendo dramatique maîtrisé. On trouve peu de scènes gore dans cette histoire, les amateurs d’hémoglobine peuvent passer leur chemin. L’auteur remplace la violence cathartique par beaucoup de tendresse et une réelle empathie pour Stony et ses proches. Quelques morceaux de bravoure jalonnent le récit, mais rien de nature à remettre en question la tonalité d’un récit marqué du sceau du destin, par une sourde mélancolie, mais aussi par un message de tolérance que rien ne vient démentir, ni la duplicité, ni les préjugés d’une humanité, zombies y compris, prompte à se chercher des excuses lorsqu’il s’agit d’exclure, d’éliminer ou d’éradiquer sans pitié.

L’Éducation de Stony Mayhall revisite donc avec intelligence les motifs du roman de zombies, apportant une touche d’humanité et d’humour noir à un sous-genre par ailleurs trop souvent décervelé.

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L’Éducation de Stony Mayhall (Raising Stony Mayhall, 2011) de Daryl Gregory – Éditions Le Bélial’, 2014 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Laurent Philibert-Caillat)

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