Symposium Inc.

Rebecca a commis le pire des crimes possibles. Tuer sa mère, sa génitrice, l’autrice de ses jours, provoquant immédiatement l’ire versatile et tenace des réseaux sociaux. L’affaire suscite en effet les commentaires outragées de followers anonymes, convaincus de détenir, entre leurs doigts visés sur leur smartphone, le vrai et le juste. Rebecca est un monstre. Elle doit être punie, condamnée pour ce sacrilège. Pour son père, la pilule est d’autant plus amère à avaler qu’il connaissait les maux dont souffrait sa fille. Des maux qui expliquent son acte. Gourou du biopouvoir, à l’origine des « constagrammes », ce vaste programme de monitorage des taux d’hormones et des neurotransmetteurs, le bougre sait tout de l’adrénaline, la dopamine et la sérotonine. Il en connaît les effets bénéfiques ou néfastes et sait qu’il convient de les surveiller pour contrôler les humeurs et le bien être de ses contemporains. Il en connaît également la puissance destructrice ou consolatrice. Face à la vindicte populaire qui dessert la cause de sa fille, il embauche une ancienne connaissance, redoutable pénaliste du Barreau et avocate des causes perdues dont le palmarès témoigne de son expertise, au risque de raviver d’autres plaies plus difficiles à cicatriser.

Symposium Inc. a l’étoffe des textes coups de poing où les enjeux épousent les passions tristes de la comédie humaine. Doté d’une intrigue gigogne, en forme de règlement de compte au sein d’un microcosme bourgeois typiquement français, la novella d’Olivier Caruso mêle à la fois les ressorts de la comédie de mœurs, du triangle amoureux, rapports de domination et trahison y compris, aux neurosciences et à la biochimie cérébrale, devenues ici les guides suprêmes d’une humanité sous l’emprise de la chimie de ses émotions. Avec Symposium Inc. la dystopie n’est en effet jamais très loin, laissant infuser le poison de la manipulation des esprits et des corps. Une régulation des existences bien plus insidieuse et délétère que le talon de fer des dictatures, agissant sur les ressorts de la dépendance. Olivier Caruso met ainsi en scène une chimie des cœurs échappant à la raison et à la morale. Mais, la morale est-elle raisonnable ?

Alors, pourquoi n’ai-je pas adhéré à Symposium Inc. ? Pourquoi la novella d’Olivier Caruso rejoindra-t-elle finalement la liste des rendez-vous manqués de ce blog ? Pour faire simple, disons que l’écriture de l’auteur n’a guère stimulé mon empathie. Les phrases courtes, le style haché et direct, les personnages fondamentalement antipathiques ont rendu ma lecture pénible, ne favorisant pas mon immersion. En calquant la narration sur les mécanismes de l’immédiateté de la société du spectacle et des réseaux sociaux, Olivier Caruso se prive des circonvolutions descriptives qui contribuent à poser une atmosphère, à laisser affleurer l’émotion ou à dessiner en creux les caractères et les sentiments.

Symposium Inc. n’est donc pas un mauvais texte. Le propos d’Olivier Caruso ne manque pas d’ambition, suscitant la réflexion sur nos pratiques sociales et notre condition chimique. Hélas, en voulant faire correspondre le traitement à ce propos, l’auteur m’a un peu perdu en cours de route. Tant pis, il trouvera sans doute d’autres lecteurs pour chanter ses louanges.

Symposium Inc. – Olivier Caruso – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », août 2021

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