Éversion

Depuis la parution du dernier tome de la trilogie « Les Enfants de Poséidon », Alastair Reynolds s’était fait rare dans nos contrées. La traduction de Éversion au Bélial’, son roman le plus récent, après celle de La Millième Nuit, vient nous rafraîchir la mémoire avec bonheur, montrant que l’auteur gallois reste une valeur sûre de la Science fiction. Si la lecture de la novella m’avait quelque peu laissé insatisfait, le présent roman lève les doutes sur la faculté de l’auteur à susciter le vertige car, oui, incontestablement Éversion est un roman futé, apte à contenter les attentes d’un lectorat en quête d’aventures science fictives.

Difficile d’évoquer l’intrigue sans trop en dévoiler. On se contentera de renvoyer les curieux à une quatrième de couverture suffisamment elliptique pour brosser les enjeux du roman sans en dire trop. Le docteur Silas Coade apparaît en effet comme le point focal d’un récit bâti comme le miroir déformant de ses fantasmes et du déni dans lequel il s’est enfermé. Pour cette raison, on me permettra donc d’adopter la technique du pas de côté, passant outre le traditionnel résumé des grandes lignes de l’histoire.

Éversion apparaît d’abord comme un jeu de pistes où Alastair Reynolds distille les différents éléments d’un contexte truqué sciemment, frappé du sceau de l’incertitude et du traumatisme. Nous sommes ainsi poussés à opérer un tri dans les faits relatés par un narrateur définitivement non fiable, mais luttant pour retrouver un équilibre ébranlé par des circonstances dramatiques. Au fil de l’écriture et de la réécriture de l’itinéraire de Silas Coade, Alastair Reynolds cultive les redondances, semant le doute et un trouble croissant, à l’aune des émotions du narrateur, ballotté sans cesse d’un voyage d’exploration à un autre. D’aucuns trouveront peut-être le procédé répétitif, même si l’auteur en joue avec bonheur, entretenant le suspense jusqu’au dénouement.

Hommage malin et respectueux au roman feuilleton, au récit d’exploration et au pulp, Éversion acquitte aussi sans honte son tribut à ses devanciers, jouant la connivence avec les connaisseurs des littératures populaires. Ils feront évidemment le parallèle avec les expéditions maritimes et aériennes des explorateurs des pôles et autres terres australes ou boréales, tout en s’amusant de retrouver le mythe de la terre creuse, non dépourvu d’horreur cosmique, et une forme de Space opera ayant le charme désuet des aventures du Capitaine Futur.

Éversion réjouira donc l’amateur de science-fiction d’autant plus facilement qu’il procure un authentique plaisir de lecture avec une efficacité exemplaire. Si on doutait de la faculté de Alastair Reynolds à suspendre notre incrédulité pour mieux nous surprendre, nous voici rassuré. À suivre avec le dossier que va lui consacrer la revue Bifrost et l’inédit House of Suns dont on entend grand bien.

Éversion (Eversion, 2022) – Alastair Reynolds – Le Bélial’, février 2023 (roman traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti)

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