Corsaire de l’espace

Nouvelle-Europe. Face à l’invasion des Alérioniens, des extraterrestres impitoyables, une minuscule colonie d’irréductibles français résiste encore et encore, espérant le soutien de la Fédération mondiale. Peine perdue car sur Terre on est persuadé que l’agression étrangère n’a laissé aucun survivant. Du moins, c’est la fiction que tout le monde préfère croire. Tout le monde ? Gunnar Heim, un vétéran de la Marine spatiale ayant fait fortune dans la libre entreprise est convaincu du contraire. Accompagné d’Endre Vadàsz, un ménestrel hongrois facétieux, rescapée de Nouvelle-Europe, et avec l’appui de la France, il remet au goût du jour la tradition de la lettre de marque, armant un vaisseau pour faire la guerre aux Alérioniens. Avec beaucoup de panache et de courage, il s’apprête ainsi à bouter l’extraterrestre hors de la doulce Nouvelle-Europe.

En dépit de sa propension à mettre en scène des self-made men rusés, de son penchant pour le libre-marché et une certaine méfiance envers les institutions étatiques, qu’il s’agisse d’une fédération, d’un empire, d’une république bureaucratique, d’un royaume aristocratique ou d’une dictature totalitaire, lire un roman de Poul Anderson reste un plaisir, certes coupable, mais tenant en général toutes les promesses de l’aventure. Pour cette raison Corsaire de l’espace, dont le titre original Star Fox renvoie à Surcouf, en particulier au nom de son navire, s’impose comme une lecture distrayante, surtout si l’on apprécie le pulp.

D’abord parce que même si l’auteur ne fait pas secret de ses convictions politiques, il n’est pas dupe de la faculté de l’humanité à s’aveugler et à dévoyer tous les idéaux, y compris les plus parfaits. À ses yeux, l’entropie reste la seule grande égalisatrice face à une liberté qu’il convient de défendre coûte que coûte afin de ménager une issue favorable. De même, on retrouve dans Corsaire de l’espace le goût de l’auteur pour l’Histoire, passion qu’il partage avec François Bordes, aka Francis Carsac, à qui le présent roman est dédié.

D’aucuns s’agaceront des piques adressées aux pacifistes, guère enclins ici au consensus ou au dialogue, tant ils sont persuadés de détenir l’unique vérité. Le contexte de l’escalade dans la guerre du Vietnam n’est peut-être pas étranger à ce portrait à charge, surtout lorsque l’on connaît l’engagement de Poul Anderson aux côtés des faucons. Si vis pacem parabellum. Si l’auteur américain fait sienne la devise de la République romaine, il ne semble cependant pas verser totalement dans la caricature, donnant aux Alérioniens le rôle d’adversaires certes dangereux mais aussi honorables, condamnés à être vaincus car enferrés dans une évolution vouée à l’échec.

Récit plaisant, léger et fertile en rebondissements, mettant en scène une galerie d’archétypes auxquels nous sommes accoutumés, Corsaire de l’espace ne déroge pas à la manière de Poul Anderson. Il s’applique à nous divertir d’aventures bigger than life, du moins dans leur acception old school, apportant à ce fix-up une touche romantique inattendue. Et si Corsaire de l’espace ne figure pas parmi ses chefs-d’œuvre, il ne démérite cependant pas à côté du sympathique Les Croisés du cosmos, par exemple.

Additif : On notera que la présente réédition bénéficie d’une postface de Jean-Daniel Brèque dont les qualités de passeur et de traducteur ne sont plus à démontrer (je flagorne si je veux). Revenant sur le contexte du roman, il décrit la part prise par l’amitié entre Poul Anderson et Francis Carsac/François Bordes dans la genèse de cette aventure.

Corsaire de l’espace (The Star Fox, 1965) – Poul Anderson – Éditions Le Bélial’, collection « Pulps », avril 2023 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre Billon, traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti et Olivier Girard)

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