Le Crépuscule de la Hanse

Notre patience est enfin récompensée avec la parution décalée, pour cause de pandémie, du dernier volet du cycle de la «  Hanse galactique  ». Depuis la parution du Prince-Marchand en 2016, David Falkayn, Adzel et Chee Lan ont vécu bien des aventures au service de leur mentor gargantuesque, le prince-marchand Nicholas van Rjin. Hélas, l’atmosphère n’est plus au franc optimisme et l’avant-propos du traducteur et maître d’œuvre Jean-Daniel Brèque n’est pas superflu pour replacer les divers éléments de ce contexte funeste. Les événements semblent en effet se précipiter autour de la planète Mirkheim, entrevue dans la nouvelle «  L’étoile-guide  », et point focal de toutes les attentions belliqueuses de ce coin de la galaxie. De façon inattendue, le danger prend la forme des Baburites, une race de sophontes hydropneumates (respirant de l’hydrogène). En principe guère intéressés par des mondes incompatibles avec leur biologie, ils bénéficient pourtant de l’aide d’oxypneumates (créatures respirant de l’oxygène) dans leur volonté d’expansion hégémonique. De quoi secouer la fausse quiétude du Commonwealth et mettre à jour davantage les tensions animant la Ligue polesotechnique. De quoi aussi faire sortir de sa retraite le directeur de la Compagnie solaire des épices et liqueurs et son trio de mousquetaires. Mais, les héros sont désormais fatigués ou du moins pas très loin de se ranger des familles. Falkayn a épousé la petite-fille de van Rijn et n’aspire plus qu’à une vie tranquille avec femme et enfants. Quant au maître-marchand, il vocifère toujours autant, entre deux plats d’anguilles, pendant que Chee Lan et Adzel vaquent chacun de leur côté à leurs projets personnels. Entre coups fourrés et regard désabusé sur l’histoire telle qu’elle va mal, ils vont rempiler pour une ultime mission, soldant leurs comptes définitivement, ou du moins pour un temps, avec les fossoyeurs de leur rêve de liberté.

On peut appréhender une œuvre au regard de ses différentes parties ou selon le tableau d’ensemble qu’elle compose. Dans la première acception, le cycle de la «  Hanse galactique  » forme une série divertissante où prévaut un sense of wonder indéniable. Poul Anderson propose ainsi une suite de nouvelles et de romans animés par des archétypes bigger than life, dont la faconde exubérante et la droiture ne sont jamais prises en défaut, même au plus fort des tractations roublardes d’Old Nick. Mais, à la lecture de l’ensemble, le cycle prend une toute autre dimension, celle de la tragédie dont la postface inédite de Poul Anderson dévoile la genèse et les soubassements politiques. Si l’auteur n’apprécie guère l’État, du moins sa tendance à la bureaucratie, avide de réglementations contraignantes ou sensible à la corruption, il n’aime pas davantage le capitalisme dans sa version monopolistique qui voit la libre-entreprise succomber sous le coup des ententes illicites. Bref, il prêche pour la liberté et la concurrence non faussée, seules vertus aptes à ses yeux à préserver la paix et le progrès. En cela, il reste donc très américain. Le cycle de la «  Hanse galactique  » peut cependant être lu aussi comme une tentative pour extraire une morale de l’Histoire, certes un tantinet inspirée par la Guerre froide. Élaborée à l’aune des réflexions de John K. Hord et de Arnold Toynbee sur l’essor et la chute des civilisations, l’œuvre de l’auteur américain apparaît comme une mise en récit de son amour pour les idées, donnant matière à réfléchir à ses lecteurs.

Avec Le Crépuscule de la Hanse, Poul Anderson semble vouloir tourner la page, dans tous les sens du terme, donnant l’impression de clore un cycle, du moins provisoirement, avant de voguer vers d’autres aventures. Et si, le tomber du rideau n’étaient finalement que le prélude d’un nouvel âge, plus ouvert à la liberté  ? Tant que l’entropie prête vie à l’intelligence et à la camaraderie, on peut y croire.

Récapitulatif pour les retardataires :

Le Crépuscule de la Hanse – La Hanse Galactique – 5 – Poul Anderson – Le Bélial’, janvier 2021 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Jean-Daniel Brèque)

Corsaire de l’espace

Nouvelle-Europe. Face à l’invasion des Alérioniens, des extraterrestres impitoyables, une minuscule colonie d’irréductibles français résiste encore et encore, espérant le soutien de la Fédération mondiale. Peine perdue car sur Terre on est persuadé que l’agression étrangère n’a laissé aucun survivant. Du moins, c’est la fiction que tout le monde préfère croire. Tout le monde ? Gunnar Heim, un vétéran de la Marine spatiale ayant fait fortune dans la libre entreprise est convaincu du contraire. Accompagné d’Endre Vadàsz, un ménestrel hongrois facétieux, rescapée de Nouvelle-Europe, et avec l’appui de la France, il remet au goût du jour la tradition de la lettre de marque, armant un vaisseau pour faire la guerre aux Alérioniens. Avec beaucoup de panache et de courage, il s’apprête ainsi à bouter l’extraterrestre hors de la doulce Nouvelle-Europe.

En dépit de sa propension à mettre en scène des self-made men rusés, de son penchant pour le libre-marché et une certaine méfiance envers les institutions étatiques, qu’il s’agisse d’une fédération, d’un empire, d’une république bureaucratique, d’un royaume aristocratique ou d’une dictature totalitaire, lire un roman de Poul Anderson reste un plaisir, certes coupable, mais tenant en général toutes les promesses de l’aventure. Pour cette raison Corsaire de l’espace, dont le titre original Star Fox renvoie à Surcouf, en particulier au nom de son navire, s’impose comme une lecture distrayante, surtout si l’on apprécie le pulp.

D’abord parce que même si l’auteur ne fait pas secret de ses convictions politiques, il n’est pas dupe de la faculté de l’humanité à s’aveugler et à dévoyer tous les idéaux, y compris les plus parfaits. À ses yeux, l’entropie reste la seule grande égalisatrice face à une liberté qu’il convient de défendre coûte que coûte afin de ménager une issue favorable. De même, on retrouve dans Corsaire de l’espace le goût de l’auteur pour l’Histoire, passion qu’il partage avec François Bordes, aka Francis Carsac, à qui le présent roman est dédié.

D’aucuns s’agaceront des piques adressées aux pacifistes, guère enclins ici au consensus ou au dialogue, tant ils sont persuadés de détenir l’unique vérité. Le contexte de l’escalade dans la guerre du Vietnam n’est peut-être pas étranger à ce portrait à charge, surtout lorsque l’on connaît l’engagement de Poul Anderson aux côtés des faucons. Si vis pacem parabellum. Si l’auteur américain fait sienne la devise de la République romaine, il ne semble cependant pas verser totalement dans la caricature, donnant aux Alérioniens le rôle d’adversaires certes dangereux mais aussi honorables, condamnés à être vaincus car enferrés dans une évolution vouée à l’échec.

Récit plaisant, léger et fertile en rebondissements, mettant en scène une galerie d’archétypes auxquels nous sommes accoutumés, Corsaire de l’espace ne déroge pas à la manière de Poul Anderson. Il s’applique à nous divertir d’aventures bigger than life, du moins dans leur acception old school, apportant à ce fix-up une touche romantique inattendue. Et si Corsaire de l’espace ne figure pas parmi ses chefs-d’œuvre, il ne démérite cependant pas à côté du sympathique Les Croisés du cosmos, par exemple.

Additif : On notera que la présente réédition bénéficie d’une postface de Jean-Daniel Brèque dont les qualités de passeur et de traducteur ne sont plus à démontrer (je flagorne si je veux). Revenant sur le contexte du roman, il décrit la part prise par l’amitié entre Poul Anderson et Francis Carsac/François Bordes dans la genèse de cette aventure.

Corsaire de l’espace (The Star Fox, 1965) – Poul Anderson – Éditions Le Bélial’, collection « Pulps », avril 2023 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre Billon, traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti et Olivier Girard)

Capitaine Futur : Les Sept Pierres de l’espace

Le temps passe aussi vite que le Comète en quête de nouveaux défis à relever. Voici déjà le cinquième opus des aventures du Capitaine Futur, le sémillant géant à la chevelure de feu et à l’intelligence remarquable. Sortez les midinettes, le héros est toujours un cœur à ravir, même si Joan le couve plus que jamais d’un regard jaloux. Mais, ne soyez pas trop impatient quand même, car la liste des ennemis de l’humanité est longue avant de pouvoir trouver le moment propice afin de compter fleurette. D’autant plus que le sorcier de la science a toujours une expérimentation sur le feu, histoire de ne pas rester oisif. Une fois de plus, il affronte un adversaire implacable, un véritable génie du mal, déterminé à dominer les neuf planètes pour en repousser les limites à son avantage exclusif. Un adversaire évidemment à la démesure de Curt Newton et de ses Futuristes, persuadé que l’univers, de l’infiniment petit au plus grand, lui appartient, prêt à être façonné à sa convenance. Face à Ul Quorn, l’hybride maléfique et à sa caravane de l’étrange, toutes les ressources athlétiques et intellectuelles du Capitaine ne seront pas de trop pour le mettre hors de nuire.

Lire Capitaine Futur, c’est un peu comme retrouver une paire de pantoufles auprès du feu. Périls terrifiants dont on sait que le héros parviendra à se dépêtrer à force de courage et de ténacité, sense of wonder suranné, voire kitschouille, décontraction et frisson sans prise de tête, les aventures de Curt Newton proposent un condensé de cet esprit pulp, cher à l’Âge d’or de la science fiction américaine. Dans l’univers du feuilleton ou plutôt du serial, Edmond Hamilton tire son épingle du jeu, en dépit de l’aspect répétitif des intrigues, de l’humour lourdingue du duo Otho/Grag et de rebondissements un tantinet téléphonés. Si les recettes d’écriture ne changent pas vraiment, l’auteur introduit pourtant une petite variante, dévoilant d’emblée l’identité de l’adversaire du Capitaine. Il s’agit donc moins de démasquer celui-ci que de le prendre en flagrant délit ou de le devancer afin de l’empêcher de mener son projet à terme. Le mano à mano entre Curt et Ul Quorn n’empêche pas le respect d’exister, voire même une certaine admiration mutuelle se développer entre les deux personnages, malgré l’antagonisme irréductible qui les oppose. Il en va souvent ainsi du héros et de son âme damnée.

Bref, Les Sept Pierres de l’espace s’apparente à un petit changement dans la continuité où l’ambivalence des motivations reste toujours exclue et où les poncifs constituent l’ordinaire d’un système solaire réduit aux dimensions d’une Amérique fantasmée.

Capitaine Futur  : Les Sept Pierres de l’espace – Edmond Hamilton – Le Bélial’, coll. «  Pulps  », juin 2020 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

Le Monde de Satan

Avec la parution du roman Le Prince-Marchand en 2016, les éditions du Bélial’ ont entamé, sous la houlette de Jean-Daniel Brèque, traducteur et maître d’ouvrage pour l’occasion, la publication presque intégrale des textes ressortissant à « La Ligue polesotechnique », première époque de «  La Civilisation Technique », l’un des cycles majeurs de Poul Anderson. Le temps passant très vite, le quatrième tome est désormais disponible. L’amateur y trouvera une traduction très révisée du roman Le Monde de Satan, et un inédit sous la forme d’une novelette intitulée « L’Étoile-Guide ». Pour qui serait passé au travers des trois précédents volumes, peut-être n’est-il pas inutile de procéder à un bref rappel. Dans le futur, le Commonwealth englobe une multitude de planètes et de colonies habitées par des humains et des extraterrestres, rebaptisés sophontes. Mais la véritable puissance reste l’association des libres marchands, la fameuse Hanse galactique, dont les affaires s’autorégulent dans le respect des principes de l’intérêt bien compris, de la concurrence libre et non faussée, contribuant ainsi à la stabilité de la civilisation technique. Si Le Prince-Marchand avait été l’occasion de découvrir Nicholas van Rijn, le fondateur de la Compagnie Solaire des Épices & Liqueurs, personnage fantasque, jouisseur et roublard au langage fleuri, les tomes suivants nous ont permis, au fil d’aventures périlleuses et un tantinet répétitives, de lier connaissance avec d’autres collaborateurs de la compagnie, en particulier le trio de pionniers marchands formés par David Falkayn, Chee Lan et Adzel. Un aristocrate beau gosse et intelligent, parfait cliché pour belle-mère, une Cynthienne menue et d’apparence faussement adorable, à la langue bien affûtée et au caractère caustique, et enfin un Wodenite, sophonte à l’impressionnante envergure de centaure mâtiné de saurien ne laissant pas deviner sa nature débonnaire et non-violente. Bref, trois mousquetaires au service d’un quatrième tenant plus de Falstaff que de d’Artagnan.

Si Le Monde de Satan permet de renouer avec cette complicité, voire cette amitié indéfectible, forgée au fil des missions accomplies pour le compte de van Rijn, le présent roman relève surtout d’un changement dans la continuité. Aucune allusion politique malvenue dans cette assertion, même si le regard de Poul Anderson sur la Ligue polesotechnique se fait progressivement plus désabusé, surtout dans le texte « L’Étoile-Guide ». Certes, les péripéties vécues par van Rijn et consorts ne brillent toujours pas par leur originalité. On reste dans une veine populaire, où l’humour, le rythme soutenu et les stéréotypes confèrent au récit un caractère divertissant indéniable, sans pour autant renoncer complètement à la science, notamment dans des passages flirtant avec une hard SF au didactisme un tantinet agaçant. Quant au changement mentionné plus haut, d’abord sous-jacent, il perce de plus en plus au travers d’Adzel, sans doute le plus sensible à l’égoïsme bien compris de la Ligue polesotechnique, puis de Coya, la petite-fille de van Rijn, au point de briser la belle entente qui prévalait entre les associés dans Le Monde de Satan. Si le roman s’achève en effet sur une note joyeuse, celle-ci est sévèrement tempérée à la lecture de « L’Étoile-Guide ». Le cabotinage du prince-marchand et l’esprit d’entreprise cèdent alors la place à l’amertume et au dégoût.

Mésestimé lors de sa première parution en France, comme en témoigne la critique assassine de Jean-Pierre Andrevon dans Fiction, Le Monde de Satan apparaît pourtant comme l’apogée des aventures de van Rijn, Falkayn, Chee Lan et Adzel. Mais, l’apogée comme l’orgueil précèdent toujours la chute, déjà annoncée par la novelette «L’Étoile-Guide ». En cela, le quatrième tome de «  La Hanse galactique » apparaît comme un ouvrage de transition, entre optimisme et fatalisme, bouffonnerie et drame, John W. Campbell et Paul Valéry. Le laissez-affairisme et la ploutocratie étant désormais au cœur du Commonwealth, les temps sont dorénavant ouverts pour Le Crépuscule de la Hanse, ultime tome du cycle. Ne cachons pas notre impatience.

Le Monde de Satan – La Hanse galactique T. 4 de Poul Anderson – Éditions Le Bélial’, 2018 (recueil traduit de l’anglais [États-Unis] et présenté par Jean-Daniel Brèque)

Capitaine Futur : Le Triomphe

Voici déjà le quatrième volet des aventures du Capitaine Futur, le héros des quadras et quinquas, fans de l’anime du studio japonais Toei Animation. Une nouvelle fois traduit par Pierre-Paul Durastanti dans la collection « Pulps » dont il est par ailleurs l’initiateur et l’animateur infatigable, l’ouvrage ne décevra pas les amateurs de rétro-fiction. Rien de neuf en effet sous le soleil des neuf planètes, une fois de plus menacées par un péril insidieux et implacable.

Ne lésinons pas sur les superlatifs car ils composent l’ordinaire du sorcier de la science, ce géant roux dont la carrure athlétique n’a d’égale que l’esprit vif et alerte. Meneur né des Futuristes, cette association de héros extraordinaires, à laquelle le gouvernement planétaire fait appel lorsque le désordre se répand parmi les peuples du Système solaire, Curt Newton ne semble animé que par la passion de la connaissance et un sens de la justice surhumain. Cette fois-ci confronté au seigneur de la vie, un mystérieux criminel promettant la jeunesse éternelle aux plus chenus des citoyens, via un élixir aux effets secondaires mortels, il doit prêter une nouvelle fois main forte à la police des planètes, incapable de déjouer la redoutable accoutumance qui se répand dans les neufs mondes. La routine, en somme, dans le plus pur registre du pulp et du comics dont Edmond Hamilton applique les recettes avec cette série née dans les années 1940.

L’amateur retrouvera donc la démesure d’une intrigue ne s’embarrassant guère de vraisemblance, lui préférant la patine d’une histoire recyclant des motifs plus anciens, comme ici celui de la fontaine de jouvence. Inutile en effet d’attendre autre chose que le dépaysement suranné d’un space opera trépidant, où une péripétie en chasse une autre, sur fond de ranch saturnien, de forêt de champignons aux spores mortels et de brumes impénétrables hantées par des hommes oiseaux. L’aventure à un saut d’astronef ou de voiture fusée, jalonnée par les saillies d’un humour potache, certes un tantinet répétitif, avec une foi dans le progrès scientifique chevillée au corps. Toute une époque et un état d’esprit différent, celui qui prévalait durant l’âge d’or américain, mais avec une légère touche de nostalgie dont on goûte un aperçu dans la salle des trophées du Capitaine Futur.

Bref, Le Triomphe, quatrième aventure du Capitaine Futur, reste un texte d’une exubérance juvénile, à peine entaché par quelques tournures familières, qui ne cède rien en matière de distraction sans conséquence. Et, ce n’est pas un fan de Starwars qui lui jettera la première pierre.

Capitaine Futur 4 : Le Triomphe (Captain Future’s Challenge, 1940) de Edmond Hamilton – Éditions Le Bélial’, collection « pulps », mars 2018 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

Les Loups des étoiles

La galaxie a peur. La galaxie tremble devant les déprédations des Varnans, ceux que tous surnomment les Loups des étoiles. Sans doute inspirés par les méfaits des vikings, ce peuple sauvage déclenche régulièrement des raids, mettant à sac les richesses des empires et royaumes de la Voie lactée. Usant de leur force physique et de leurs réflexes inouïs, acquis sur leur planète natale où la gravité est écrasante, ils affrontent sans peur les croiseurs de leurs victimes, raflant les trésors des mondes qui les craignent. Parmi les Loups des étoiles, Morgan Chane fait figure d’exception. Élevé sur Varna après la mort de ses parents missionnaires terriens, il s’est adapté à la gravité, développant des capacités physiques exceptionnelles et une indépendance d’esprit insolente. Fuyant la vendetta d’un des plus puissants clans de la planète, il ne doit la vie qu’à John Dilullo. Ayant démasqué le loup blessé, le capitaine mercenaire décide d’utiliser ses capacités pour achever une mission compliquée. Des confins de Vhol (L’Arme de nulle part), d’où est exhumée une arme antédiluvienne invincible, au monde natal des loups (Le Monde des loups), en passant par le système d’Allubane où l’autarcie jalouse de ses ha-bitants cache une technologie dangereuse (Les Mondes interdits), Dilullo et Chane apprennent petit à petit à se connaître au cours d’aventures périlleuses, n’hésitant pas à échanger à fleuret moucheté railleries et sarcasmes divers.

Lorsqu’il écrit la série des « Loups des étoiles », Edmond Hamilton n’est plus vrai-ment un perdreau de l’année. Père du space opera, auteur chenu dont la carrière a dé-buté quarante ans plus tôt, à l’époque des pulps, le bonhomme fait figure de dinosaure lorsque paraît en 1967 le premier tome des aventures de Morgan Chane. Et effectivement, on ne peut s’empêcher de trouver anachroniques les trois romans qui composent cette série, même si leur caractère épique et le world-building pseudo-scientifique démontrent une grande maîtrise de la narration. Car Edmond Hamilton a du métier. Il sait y faire pour provoquer la suspension d’incrédulité et titiller le sense of wonder. Ses descriptions de la galaxie réjouissent les yeux par leur lyrisme un tantinet pompier. La caractérisation de ses personnages, qui tiennent plus de l’archétype que d’un portrait psychologisant, prône l’efficacité et suscite la complicité du lecteur. Bref, « Les Loups des étoiles » détonne quelque peu à une époque où le prix Hugo récompense Dune, Révolte sur la Lune, Seigneur de lumière, Tous à Zanzibar, et où 2001, l’Odyssée de l’espace s’apprête à sortir au cinéma.

Pourtant, pour peu qu’on se laisse porter par les péripéties des aventures de Morgan Chane, le seul Loups des étoiles non natif de Varna – le monde d’origine de cette espèce adepte du pillage –, et pour peu que l’on soit séduit par la connivence quasi-filiale qu’il entretient avec John Dilullo, le dur-à-cuire de la vieille Terre, « Les Loups des étoiles » se révèle une lecture divertissante. Au moins autant que le visionnage d’un épisode de Star Wars dont l’univers puise sans vergogne dans l’œuvre d’Hamilton. Sachant que Leigh Brackett a contribué au scénario de L’Empire contre-attaque, il n’est guère étonnant de voir Han Solo com-me un émule de Morgan Chane, wookie y compris. Tout ceci n’empêche cependant pas l’auteur américain de rechercher une certaine vraisemblance, en reprenant à son compte la thématique de la panspermie et la théorie de l’évolution pour remplir la galaxie de peuples à la couleur de peau chatoyante et à la constitution adaptée à leur environnement. Et même s’il ne se montre guère féministe dans sa représentation de la femme, il laisse infuser quelques préoccupations des années 1960, notamment dans Les Mondes interdits, où l’on peut percevoir l’Errance Libre comme une allusion à peine voilée à la consommation de drogue.

Petit plaisir de lecture, « Les Loups des étoiles » amusera sans doute les amateurs d’une science-fiction confite dans les clichés du space opera. Une acception du genre datée, popularisée sur le grand écran par Star Wars, et dont on ne peut pas renier le plaisir sentimental qu’elle suscite.

« Les Loups des étoiles » de Edmond Hamilton – Rééditions Folio SF, 2003 (ouvrage se composant de L’Arme de nulle part, Les Mondes interdits et Le Monde des loups, traduit de l’anglais [États-Unis] par Richard Chomet)

La Saga des étoiles

Avant de se voir coller l’image kitschissime de Star Wars, la science-fiction a longtemps été réduite à celle du space opera débridé issu des pulps, où tout paraissait bigger than life. En ce temps-là, sur le fond étoilé de la Galaxie, les archétypes un brin naïfs fusaient dans leurs astronefs fuselés, explorant des planètes sauvages, sur le qui-vive, prêts à dégainer l’arme ultime contre toute menace indicible ou plus simplement un pistolet atomique. Les princesses à sauver des griffes maléfiques d’une entité quelconque abondaient et on trouvait toujours un défi à relever, histoire d’occuper le temps ou de repousser plus loin les frontières de la civilisation (forcément américaine). De ce décor teinté d’inventions pseudo-scientifiques, rayons subspectraux plus rapides que la lumière et autres stases protégeant les hardis pilotes des accélérations surhumaines, Edmond Hamilton a fait le quotidien de John Gordon, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale et ex-pilote de bombardier  (Buck Rogers, vous avez dit ?), peaufinant au passage sa réputation de faiseur d’aventures spatiales.

Découpé en deux livres, la « Saga des étoiles » convoque le ban et l’arrière-ban du sense of wonder, n’hésitant pas à piller le scénario du Prisonnier de Zenda et un contexte inspiré de la Guerre froide, menace atomique y comprise.

Paru en 1949, Les rois des étoiles apparaît comme un condensé échevelé et un tantinet roublard des récits édités dans les pulps. En parfait candide dont l’esprit américain devient l’objet d’un échange avec celui du prince Zarth Arn, John Gordon vole de merveilles en merveilles, emporté par une succession d’événements imprévus dont il ne peut que subir les conséquences, s’adaptant avec une chance inouïe aux circonstances. Dans un empire aux proportions cosmiques, sorte de commonwealth foisonnant, qui domine la Galaxie dans le futur, il passe ainsi de l’extase à l’effroi, dans la crainte permanente de voir sa véritable identité démasquée, tombant amoureux de la princesse avec laquelle on le marie pour la forme, afin de renforcer les alliances face à la menace du tyran Shorr Kan. Heureusement, la ravissante créature ne tarde pas à succomber à son charme exotique, ce qui en dit long sur le sex-appeal de l’an 200000… Bref, Edmond Hamilton aligne les poncifs et les rebondissements avec l’entrain d’un forain à la foire, régalant son lectorat d’un récit léger, jalonné de quelques morceaux de bravoure propres à susciter un enthousiasme juvénile.

Le retour aux étoiles ne bénéficie pas, hélas, de la même cohérence. Paru vingt ans plus tard, en 1969, si l’on fait abstraction de l’édition française de 1968 qui comportait deux textes alors encore inédits outre-Atlantique, ce roman souffre de sa structure de fix-up composé à partir de plusieurs novelettes parues en magazine entre 1964 et 1969. On en ressort avec le sentiment d’une trame décousue et répétitive, où seule la première (« Les Royaumes des étoiles ») et quatrième partie (« L’Horreur venue de Magellan ») paraissent se dégager de l’ensemble. Hamilton y rejoue le coup de l’invasion par une puissance occulte et donne une vision un tantinet plus bariolée de la Galaxie, convoquant quelques créatures non humaines. Les amateurs de bug-eyed monsters apprécieront. Mais surtout, il fait évoluer un poil le personnage féminin, époque oblige, lui donnant plus de substance et de caractère, même si cela ne l’empêche pas de tomber finalement dans les bras de son homme. Enfin, il écarte John Gordon pour donner le beau rôle à Shorr Kan, ressuscité pour l’occasion, histoire de désamorcer la naïveté du propos tout en y apportant une touche bienvenue de modernité et d’humour (quoique chaussé de gros sabots).

Au final, « La Saga des étoiles » n’usurpe pas sa réputation de classique du space opera. Au fil du temps, le récit des aventures cosmiques de John Gordon s’est ainsi couvert d’une patine désuète, mais non dépourvue de charme, et d’une aura teintée de sépia, aptes à susciter la nostalgie de l’âge d’or de la science-fiction américaine, comme en témoigne Souvenirs de l’empire de l’Atome, l’hommage récent en bande dessinée de Smolderen et Clérisse.

« La Saga des étoiles » de Edmond Hamilton – Réédition J’ai lu, 2018 (ouvrage se composant de Les Rois des étoiles et Le retour aux étoiles, traduit de l’anglais [États-Unis] par Gilles Malar et Franck Straschitz)

Aux limites de l’infini

Les amateurs de rétro-futurs trouveront sans doute leur bonheur dans ce recueil de Stanley G. Weinbaum paru aux éditions de l’Arbre vengeur. Aux limites de l’infini a en effet de quoi séduire le lecteur curieux, celui ne craignant pas la patine de l’âge d’or de la Science-fiction. Stanley G. Weinbaum fait partie de ces petits maîtres de la SF dont l’œuvre, s’il n’était pas mort prématurément, aurait sans doute brillé davantage, du moins dans un des mondes du Si qu’il met joliment en scène dans une nouvelle au sommaire de cette anthologie. Le texte porte en germe toutes les potentialités de la Science-fiction, vertige spéculatif, souci de rationalité et aventure débridée, pimentée d’une touche humoristique malicieuse.

Le recueil proposé par l’Arbre vengeur compte sept nouvelles parues entre 1934 et 1936 dans les pulps Wonder Stories, Fantasy Magazine et Thrilling Wonder Stories. Sept textes oscillant entre la dizaine et la cinquantaine de pages. Du court donc, abordant des registres variés sans se départir d’un ton résolument optimiste et d’une ironie parfois vacharde. Du récit d’exploration spatiale où l’on découvre des écosystèmes étrangers, aux univers hors du temps puisque jamais advenus, en passant par le récit catastrophe ou par la résolution d’un problème de mathématiques sous la menace d’un tueur revanchard, Stanley G. Weinbaum dévoile des trésors d’imagination. Si l’on est loin du pulp échevelé, on reste cependant dans une SF fondée sur les connaissances scientifiques de l’époque, flirtant avec la fantasy, les stéréotypes et le sense of wonder, sans oublier une petite touche de modernité qui n’est pas sans évoquer les exigences de John W. Campbell.

Aux limites de l’infini propose un sommaire éclectique permettant de découvrir les différentes facettes de l’auteur américain. Si l’on apprécie le récit d’exploration et la rencontre avec d’autres formes de vie, « Odyssée martienne » et « Les Lotophages » décrivent deux aventures sur Mars et Vénus qui ont le bon goût d’imaginer des extraterrestres échappant à l’anthropomorphisme habituel. Auréolé d’une assertion dithyrambique d’Isaac Asimov l’un des trois textes qui ont bouleversé la SF. », excusez du peu), la première nouvelle raconte le périple étrange et amusant accompli par le chimiste d’une expédition terrienne, en compagnie d’un autochtone à l’apparence d’autruche. Le second, plus inquiétant au premier abord, nous emmène sur la face nocturne de Vénus (*authentique), en compagnie d’un couple à la recherche d’espèces vivantes inconnues. Ils y rencontrent une forme d’intelligence radicalement autre, hélas condamnée du fait de sa nature. Indépendamment de leur aspect aventureux, les deux récits se distinguent par leur volonté de mettre en scène des extraterrestres crédibles, du moins suffisamment pour susciter quelques questions autour des notions d’intelligence et de conscience.

Plus court, « Aux limites de l’infini » confronte un statisticien à son ravisseur, un dangereux psychopathe ayant décidé de l’épargner s’il résout un problème mathématique. On s’amusera ou pas de la logique du raisonnement du bonhomme.

Avec « Les Mondes du Si », on touche au vertige conceptuel des mondes conditionnels, autrement dit les mondes du subjonctif. Et si ? La question recoupe bien entendu les champs respectifs de la SF et de l’uchronie personnelle. L’auteur choisit ici l’ironie cruelle, faisant de Dixon Wells, un retardataire maladif, le malheureux cobaye du subjonctiviseur, un appareil permettant de jauger sa situation présente au regard de ce qui aurait pu être si l’on avait agit autrement.

Après ces textes, il paraît évident que « Graphe », apparaît comme la déception de l’anthologie, en dépit d’un twist final que n’auraient pas désavoué Fredric Brown ou Robert Sheckley.

Si les récits de Stanley G. Weinbaum apparaissent datés, il arrive cependant que leur propos entre en résonance avec l’actualité. C’est la cas de « Dérive des Mers » où un cataclysme géologique entraîne la disparition du Gulf Stream, provoquant une glaciation du climat en Europe et un bouleversement géopolitique majeur. Le dénouement qui voit les États-Unis devenir une hyperpuissance dans un monde ayant échappé à une guerre mondiale causée par l’afflux de réfugiés climatiques, n’est pas sans nous renvoyer à des problématiques actuelles. De même, « Les Lunettes de Pygmalion », sous couvert d’une histoire d’amour, imagine un procédé de cinéma immersif faisant paraître la 3D ou la réalité virtuelle bien terne.

En dépit de son âge, Aux limites de l’infini dévoile donc une Science-fiction au charme certes désuet, mais témoignant de quelques belles pages d’anticipation intelligente et amusante. À découvrir.

Additif : On notera la belle illustration de couverture de Richard Guérineau, tout à fait dans l’esprit des nouvelles de cette anthologie.

Aux limites de l’infini et autres nouvelles choisies de Stanley G. Weinbaum – Éditions de l’Arbre vengeur, 2019 (nouvelles traduites de l’anglais [États-Unis] par Catherine Delavallade)

Les Coureurs d’étoiles

Faisant suite Aux comptoirs du cosmos, Les Coureurs d’étoiles est le troisième tome consacré à la « Hanse galactique », autrement dit la Ligue polesotechnique, premier segment historique de la « Civilisation technique ». Sur le modèle de « Fondation » de Isaac Asimov ou de « L’Histoire du futur » de Robert Heinlein, Poul Anderson dessine une vaste fresque de l’avenir de l’humanité, sous-tendue par une vision cyclique où l’initiative individuelle, pour ne pas dire individualiste, importe davantage que le processus de composition et de décomposition des structures étatiques.

On se passera ici du résumé, renvoyant les éventuels curieux aux tomes 1 et 2 de la série, voire à la chronologie de la « Civilisation technique » établie par Sandra Miesel et figurant en postface. Optons plutôt pour une analyse rapide de l’ouvrage. Celui-ci rassemble quatre textes relevant des formats de la novella (« Les Tordeurs de troubles ») et de la nouvelle, précédés pour deux d’entre-eux d’un prélude et d’un interlude. En-cela Les Coureurs d’étoiles ne se distingue pas du tome précédent, d’autant plus qu’on y retrouve les personnages de Van Rijn, Falkayn et Adzel, le Wodenite à l’apparence reptilienne de la nouvelle « L’Ethnicité sans peine ». Bref, on se retrouve en terrain connu, trop sans doute pour empêcher une certaine lassitude de s’installer.

Les péripéties vécues par les associés de Van Rijn et le prince-marchand lui-même cachent en effet à grand peine les redondances de leurs aventures. En quête de nouveaux marchés et de clients à filouter, sur le dos des autres membres de la Ligue polesotechnique si possible, la Compagnie Solaire des Épices et Liqueurs tente de nouer des relations commerciales avec des mondes inconnus, peuplés en règle générale de sophontes primitifs. À vrai dire, si l’on fait abstraction de la nouvelle « Le Jour du Grand Feu », et encore faut-il nuancer le désintéressement de l’intervention, Les Coureurs d’étoiles révèle surtout le goût du profit et le cynisme incroyable, à faire dresser les dreadlocks sur la tête d’un militant altermondialiste, de Van Rijn et Falkayn. Confrontés à des écologies et des civilisations étrangères, ils ne s’embarrassent pas en effet de salamalecs, usant sans vergogne de leur connaissance sommaire des us et coutumes des sophontes pour leur imposer les vertus de l’économie de marché, non sans provoquer quelques réactions fâcheuses. Les quatre récits mettent ainsi en scène les démêlés de Van Rijn, de Falkayn ou d’autres employés de la Compagnie, contraints de faire feu de tout bois pour se sortir du guêpier où les ont poussés l’incompréhension et l’hostilité des autochtones.

Sans surprise, Van Rijn reste un personnage imbuvable, dont l’emphase théâtrale, pour ne pas dire l’art du cabotinage, la roublardise, la propension à l’arrogance et l’attitude très rentre-dedans avec la gente féminine, pèsent sur des récits se voulant pourtant plus orientés vers l’ethnologie exotique, même si l’on ne s’écarte pas de l’esprit du pulp. Le bonhomme reste également un redoutable logicien, apte à résoudre tous les casse-têtes, même par procuration comme dans la nouvelle « La Clé des maîtres ». Sans doute un peu trop rusé pour être crédible d’ailleurs, Poul Anderson préférant sacrifier la vraisemblance sur l’autel de la démesure et de la grandiloquence du personnage. Par contre, il se confirme que David Falkayn apparaît bien comme un personnage falot, heureusement contrebalancé par son association avec deux sophontes, Chee Lan, une Cynthienne dont l’apparence de peluche cache un tempérament caustique, et Adzel, le Wodenite mi-centaure mi-saurien, qui fait ici office de caution humoristique. Bref, le trio affiche tous les tics d’un buddy movie, impulsant une touche de décontraction à leurs aventures.

Si la légèreté, l’aventure et l’humour prévalent toujours, le tableau du futur dépeint par Poul Anderson perd un peu en naïveté et en optimisme. La Ligue polesotechnique dévoile sa vraie nature : un panier de crabes bien plus intéressés par leurs intérêts privés que par le collectif. Un struggle for life où l’individualisme tend à prendre le dessus sur les bienfaits promis par la croissance du commerce. On touche ainsi aux limites du système, même si l’auteur américain se garde bien de le dénoncer, se contentant de donner une leçon de capitalisme décomplexé dans la nouvelle « Territoire », par l’intermédiaire d’un Van Rijn très en verve. Il pose également les jalons de la chute à venir, titillant l’esprit de revanche des Merséiens dans « Le Jour du Grand Feu ». Par la voix de Chee Lan, il achève enfin les ultimes illusions que l’on pouvait nourrir à l’endroit de la Ligue.

« Ma programmation stipule que notre objectif premier est de nature humanitaire, dit l’ordinateur. Mais je ne trouve ce concept nulle part dans ma banque de données. Peu importe, La Débrouille. L’humeur de Chee avait viré au bénin. Si tu veux le savoir, ce concept a trait aux contraintes classées dans la rubrique Loi et éthique. Mais ce voyage ne nous concerne pas. Oh ! Les âmes sensibles se réjouissent à l’idée de Sauver une Civilisation Prometteuse, comme si la Galaxie ne grouillait pas déjà de civilisations issues du chaos. Enfin, s’ils ont envie de payer la note, c’est leurs impôts et ils en font ce qui leur chante. Ils sont obligés de travailler avec la Ligue parce que c’est elle qui possède le plus gros des astronefs et qu’elle ne les louera pas gratis. »

Sur cette touche plus sombre, achevons donc notre chronique des Coureurs des étoiles, en précisant que si l’on a bien apprécié ce troisième tome de la « Hanse galactique », on n’en attend pas moins la suite avec l’espoir de voir celle-ci faire montre d’un peu plus d’originalité.

Les Coureurs d’étoiles – La Hanse galactique T. 3 de Poul Anderson – Éditions Le Bélial’, 2018 (recueil traduit de l’anglais [États-Unis] et présenté par Jean-Daniel Brèque)

Aux comptoirs du cosmos

Deuxième tome de la Hanse galactique, aka la Ligue polesotechnique, Aux comptoirs du cosmos nous permet de renouer avec l’histoire du futur imaginée par Poul Anderson. Dans un univers foisonnant, bigger than life, où abondent des extraterrestres appelés sophontes à l’apparence aussi exotique que dans un épisode de Starwars, la galaxie se révèle un vaste terrain de jeu pour les esprits aventureux, a fortiori s’ils savent imposer leur intérêt (égoïsme) bien compris. Dans ce domaine, les marchands de la Hanse galactique n’ont plus rien à prouver. Leurs astronefs sillonnent les étoiles, à la recherche de nouveaux marchés à conquérir, quitte à faire sauter les réticences avec quelques bombes atomiques larguées depuis l’espace. Mais, en dépit de quelques incidents fâcheux, ils restent convaincus que le seul credo valable consiste à défendre le libre marché où peuvent s’épanouir les personnalités ambitieuses.

« Sky’s the limit ! »

Si le prince-marchand Nicholas van Rijn apparaît dans deux des nouvelles du recueil, d’abord en guise de faire-valoir dans « Essaü », puis en sparring-partner dans « Cache-cache », le bonhomme cède cependant la place à d’autres employés de la Compagnie Solaire des Épices et Liqueurs. D’abord David Falkayn, dont on suit les premières missions réussies dans deux textes, « La Roue triangulaire » et « Un soleil invisible », mais aussi Emil Dalmady, Bahadur Torrance et Adzel, l’extraterrestre mi-centaure mi-saurien adepte de whisky et de bouddhisme. Une belle galerie de personnages, même si l’on ne peut s’empêcher de les trouver ternes comparé au prince-marchand, dont la roublardise innée n’a d’égale que le langage fleuri (réservons cependant notre jugement avec Adzel que l’on ne fait qu’entrevoir).

À la lecture du sommaire, un premier fait s’impose. En dépit du prélude et des interludes contextuels qui tentent de créer une continuité, les cinq nouvelles accusent leur âge, relevant d’une science-fiction héritée de l’Âge d’or américain et de l’esprit pulp. D’aucuns qualifieraient l’ensemble de old-school. Ils n’auraient pas tort, même si Poul Anderson affecte de prendre un peu de recul avec les stéréotypes et autres ficelles narratives. Bref, si l’on se contente d’une lecture au premier degré, la banalité, voire l’aspect daté des récits, peuvent apparaître entachés de lourdeur. Fort heureusement, l’auteur américain ne se départit pas d’une touche d’humour, s’amusant à l’occasion de ses personnages et de l’aspect caricatural des stéréotypes qu’ils incarnent. Cela confère un peu de légèreté à l’ensemble et fait passer un peu mieux le traitement navrant infligé aux personnages féminins. Mais bon, c’est parfois aussi raté.

Poul Anderson montre aussi dans ce recueil son goût pour l’énigme, une contrainte dictée par la parution initiale des textes dans la revue Astounding selon Jean-Daniel Brèque. Les nouvelles ici rassemblées sont donc essentiellement des problem stories, si l’on fait abstraction du texte « L’Ethnicité sans peine » dans lequel le principe est moins flagrant. L’auteur élabore des intrigues fondées sur des situations problèmes dont la résolution repose sur la mise en pratique d’un postulat scientifique et sur l’astuce des employés de la Compagnie Solaire des Épices et Liqueurs. « Cache-cache » propose ainsi une variation autour du thème de l’enquête en chambre close, allusion à Sherlock Holmes y comprise. « La roue triangulaire » réinvente une roue différente, histoire de ne pas froisser la susceptibilité des théocrates du cru. Quant à la nouvelle « Un soleil invisible », son dénouement repose sur la localisation de la planète d’où proviennent les envahisseurs néo-germaniques qui entendent bouter la Ligue hors de ses voies commerciales.

Sans faire des princes-marchands des parangons du néolibéralisme, quoique l’on soit tenté quand même de dresser un parallèle avec le libertarianisme, on doit se rendre à l’évidence. Les empires, les structures sociales trop rigides et autres carcans étatiques n’ont pas bonne presse auprès de la Ligue polesotechnique. Poul Anderson leur préfère l’esprit d’entreprise des négociants, leur faculté à s’adapter à l’imprévu et à se montrer inventifs pour résoudre les défis d’un quotidien, loin d’être routinier. Mais surtout, il n’oublie pas de louer les bienfaits de la liberté et de la tolérance, seules valeurs aptes à contenir l’entropie et la déchéance des civilisations.

Lecture légère et divertissante, Aux comptoirs du cosmos convaincra donc sans peine l’amateur de science-fiction surannée et maline. Voici de quoi approfondir sa connaissance de l’œuvre d’un auteur faisant partie des classiques, au même titre que Robert Heinlein, Isaac Asimov ou Edmond Hamilton. A suivre avec Les Coureurs d’étoiles

Aux comptoirs du cosmos – La Hanse galactique T. 2 de Poul Anderson – Éditions Le Bélial’, 2017 (recueil traduit de l’anglais [États-Unis] et présenté par Jean-Daniel Brèque)