Le Système Valentine

John Varley étant une véritable madeleine pour moi, il me semblait indispensable de le voir figurer au sommaire du non moins indispensable Challenge Lunes d’encre. Hop !

Comme de nombreux autres saltimbanques, Sparky Valentine connaît la dèche en dépit d’un talent pour l’esquive défiant l’imagination. Acteur génial mais malchanceux, il change de visage plusieurs fois par jour, toujours prêt à déclamer les plus grands rôles shakespearien, hommes et femmes y compris. Mais pour l’instant, il est surtout poursuivi par la mafia de Charron et un passé de star du petit écran. Il ne se doute pas cependant que son voyage vers Luna l’emmène vers la plus grande énigme qu’il ait eu à affronter : son père.

À l’ombre de William Shakespeare, des Marx Brothers et de W.C. Fields, Le Système Valentine déploie toute sa démesure dans l’univers des huit mondes imaginé par John Varley. Dans ce futur, une invasion extraterrestre a chassé l’humanité de la Terre, poussant ses survivants à fonder des colonies sur la Lune, Mars et dans cinq autres lieux du système solaire. Le roman forme par ailleurs une trilogie inachevée (plus pour longtemps, l’auteur ayant annoncé la parution prochaine de Irontown Blues), intitulée La trilogie métallique, dont on a pu lire l’ouverture avec Gens de la Lune.

Découpé en cinq actes, Le Système Valentine débute par une représentation survoltée de Roméo et Juliette, jouée aux confins du système solaire, se terminant à peu près avec celle du Roi Lear. Entre les deux, on accomplit un tortueux périple, des environs de Pluton jusqu’à la proche banlieue terrestre, autrement dit la colonie de Luna. Jouant avec la règle de l’unité de lieu, ici le système solaire, et déjouant celle de l’unité de temps en alternant flash back et digressions drolatiques, l’auteur américain nous propose l’odyssée loufoque de Kenneth Valentine, alias Sparky, alias l’Esquive, expert en embrouille et autres canulars. Un pauvre type pour qui l’on éprouve une irrésistible sympathie en dépit de l’envie de lui coller des baffes.

Comédien brillant et truculent, le bougre change de sexe comme de chemise, une habitude chez l’auteur américain. Mais, une poisse cosmique lui colle aux basques depuis soixante-dix ans, le contraignant à une fuite permanente. Et comble de malchance, il vient de s’attirer les foudres de la pègre charonaise, réputée pour sa cruauté et l’intransigeance de sa vengeance. Bref, cela fait beaucoup pour un seul homme/femme, d’autant plus qu’avec John Varley, on n’est jamais au bout de ses surprises. Bien au contraire, le récit est prétexte au déploiement de l’imagination farfelue de l’auteur et à l’humour décapant et dévastateur de sa prose. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on n’est pas dépaysé.

« Il n’y a à la télé que deux choses qui se vendent : les bonnes et de la merde. Aucune de ces catégories n’est une garantie de succès. Nombre d’émissions ont aspiré à être bonnes, mais elles se berçaient d’illusions. Elles ont disparu depuis belle lurette. Et d’autres étaient vraiment bonnes, d’ailleurs, et elles ont disparu, elles aussi. Quant à la merde…qui peut dire, avec la merde ? »

La démesure de l’univers des huit mondes apparaît en conséquence comme le second point fort de ce roman. Durant les pérégrinations et les réflexions introspectives de Sparky, les huit mondes dévoilent leur population fantasque. De vrais doux dingues ayant donné substance à leurs lubies lunatiques, mais également des fous furieux dont il convient de se méfier. L’escale sur Obéron 2 donne d’ailleurs lieu à un festival d’excentricités, avec des trouvailles visuelles sidérantes et des digressions hilarantes prenant pour cible le show-business et le monde du petit et grand écran. Un must foutraque assumé jusqu’au bout. Bref, du pur John Varley. On aime ou on n’aime pas, personnellement, j’adore.

Pour son humour dévastateur, l’utilisation érudite et sacrilège des textes shakespeariens, l’imagination débordante et sans aucun tabou, Le système Valentine se révèle comme l’un des meilleurs romans de John Varley, inscrivant de fait son auteur aux côtés des plus grands humoristes de la science-fiction contemporaine.

Le système Valentine (The Golden globe, 1998) de John Varley – Éditions Denoël, collection « Lunes d’encre, septembre 2003 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Patrick Marcel)

2 réflexions au sujet de « Le Système Valentine »

  1. Je ne l’avais pas noté dans mes potentielles lectures pour le challenge Lunes d’encre, faute d’élément sur ce livre. Mais ton retour donne envie, j’aime bien les références shakespeariennes. Puis, taper sur le petit écran est toujours d’actualité, tout autant que les bonnes et la merde ! 😉

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