Iain M. Banks : la Science-fiction du vertige

Ce n’est guère un secret pour les lecteurs du blog yossarian, mais on apprécie beaucoup l’auteur écossais Iain M. Banks ici-bas. Peut-être pas suffisamment si l’on en juge le peu de titres chroniqués et compte tenu de l’importance de son œuvre dans les domaines qui nous intéressent. La parution d’un numéro de la revue Bifrost consacré à cet auteur est donc une belle opportunité pour commencer à y remédier, d’autant plus que pour l’occasion quelques plumes réputées ont été invitées à lui rendre justice et hommage.

Décédé prématurément d’un cancer de la vésicule, Banks est, à la différence de Dick, un auteur de SF à qui la réussite sourit d’abord dans la littérature générale, comme le rappelle Pascal J. Thomas dans le traditionnel article d’ouverture retraçant son parcours personnel. On y découvre d’ailleurs sa propension aux blagues potaches, aux jeux de mots et aux paris stupides accomplis sous l’emprise de l’alcool. On y apprend aussi qu’il appréciait les belles voitures, les conduisant littéralement à tombeaux ouverts sur les petites et dangereuses routes écossaises. Dans l’entretien qui suit, paru en 2014 dans le webzine Strange Horizon, on s’attache plus particulièrement à ses convictions, sa philosophie et ses réflexions désabusées sur notre monde, tel qu’il va mal, toutes choses innervant son œuvre littéraire. L’occasion de découvrir l’ironie qui l’anime, mais aussi sa grande générosité et son profond humanisme. Mais surtout, il y révèle un positionnement politique très à gauche, vilipendant l’égoïsme intrinsèque du capitalisme roi et tuant toute illusion de récupération dans l’œuf. « La Culture, ce sont des communistes hippies avec des armes balèzes et une méfiance profonde envers la Marchéolâtrie et l’Avarisme. »

Sur ce point, l’article d’Alice Carabédian enfonce le clou. Réflexion brillante autour du cycle de « La Culture », de l’utopie et du Space opera, la docteure en philosophie politique y démontre la nature fondamentalement positive de l’utopie voulue par Banks. Bien plus qu’une utopie ambiguë, La Culture est une utopie critique, une pluralité politique consciente de ses limites et failles, mais qui consent à les assumer, voire à les travailler. En utilisant le cadre bigger than life du Space opera, l’auteur écossais en subvertit les codes et ressorts pour en faire un outil d’émancipation et non de conquête, de pacification et de domination. La Culture apparaît ainsi comme une œuvre éthique, progressiste, révolutionnaire, bref profondément de Gauche, qui « apporte un peu de ferveur politique dans un monde où l’on se sent démuni et impuissant face à la logique globalisante en marche. » Poursuivant sa réflexion, la docteure questionne la nature utopique de « La Culture » dans un second article, pointant ce qui distingue l’œuvre de Banks des utopies classiques et ce qui l’amène à les dépasser.

En plus du guide de lecture, on trouvera enfin au sommaire de Bifrost, la nouvelle Descente issue du recueil L’Essence de l’art dont on peut lire une chronique ici. Un choix judicieux pour un auteur qui a peu donné dans la forme courte et qui entre en résonnance avec une des autres nouvelles de la revue, Les Nuits de Belladone d’Alastair Reynolds.

Incontestablement, Iain M. Banks me manque. Son pessimisme tempéré d’ironie et d’optimisme à long terme, car en dépit de notre stupidité et de notre égoïsme nous sommes encore là, laisse un vide cruel que personne n’est venu combler. Il manque à la Science fiction, tout simplement.

Bifrost n°144 – Le Bélial’, avril 2024

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6 réflexions au sujet de « Iain M. Banks : la Science-fiction du vertige »

  1. Sa disparition a pratiquement éteint pour moi tout intérêt pour le space-opéra. Je dis pratiquement, parce j’ai lu du Liu Cixin. Finie l’époque où en SF j’achetai systématiquement et les yeux fermés le nouvel opus d’un auteur.

  2. C’est vraiement un des rares qui me donne envie d’en savoir plus sur son œuvre et sa vision du monde tel qu’il va mal – si j’ai tout bien compris.

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