Retour dans l’univers de « The Expanse » pour un épisode dans la continuation du précédent. Depuis l’écrasement d’Éros sur Vénus, la menace de la proto-molécule extraterrestre semble en stand-by, une pause précaire tant on ne sait rien des capacités de mutation de l’organisme et de sa faculté à reconfigurer l’environnement à sa convenance. Sous les nuages saturés d’acide de l’étoile du berger, sous le joug de la pression irrésistible de son atmosphère se trame des choses que l’humanité guette avec inquiétude et une touche d’effroi rétrospectif.
En dépit de l’incertitude, elle continue pourtant à se déchirer, une paix armée fragile s’étant établie entre les flottes de la Terre, de Mars et des mondes extérieurs. Nulle part ailleurs que sur Ganymède, la tension entre les forces des Nations unies et les Marines martiens n’est autant palpable. Là aussi, dans les angles morts de la géopolitique, on complote pour donner un avantage à son propre camp, en dépit de toute éthique et de toute précaution, comme en témoigne cette créature surgie des entrailles de la planète pour massacrer sans coup férir deux sections de soldats d’élite. Un monstre dont l’apparence rappelle à Holden et à son équipage de bien mauvais souvenirs.
Ne tergiversons pas. « The Expanse » est le genre de lecture détente où il n’est pas question un seul instant de se prendre la tête. Usant des recettes éprouvées dans le premier tome, La Guerre de Caliban s’apparente à un grand toboggan émotionnel, un space opera bigger than life recyclant les poncifs du roman noir, du thriller et de l’aventure spatiale. Sur un rythme soutenu, alternant deux lignes narratives appelées à se rejoindre, le duo Abraham & Franck déroule ainsi à quatre mains un récit ne ménageant guère de temps morts et ne s’embarrassant que très peu d’états d’âme superflus.
Le présent volume renouvelle avec bonheur la formule, prolongeant l’intrigue de L’Éveil du léviathan à grands renforts de cliffhangers sur fond de conflit latent entre Mars et la Terre. Plus que jamais, l’ambivalence prévaut et les fauteurs de guerre semblent avoir les coudées franches, au grand dam des défenseurs de la paix, de la raison et de la liberté. D’aucuns pourraient rechigner face à l’abus d’archétypes. Ils pourraient déplorer le caractère répétitif des ressorts narratifs, voire avoir envie de ficher des claques aux personnages, en particulier à Holden. Mais, force est de constater que l’on est content de retrouver ses marques, même si le final paraît ici moins apocalyptique. Soyons cependant sûr que la proto-molécule nous réserve quelques surprises dans le prochain tome.
En attendant, goûtons au plaisir régressif de lire les aventures d’une humanité toujours à couteaux tirés, en proie à ses habituels démons, même si elle commence à prendre conscience de sa fragilité. Un pas de géant reste cependant encore à accomplir pour agir dans l’intérêt de tous. Ce n’est pas Neil Amstrong qui nous contredira. À suivre donc avec La Porte d’Abaddon.
La Guerre de Caliban (Caliban’s War, 2012) – 2. « The Expanse » – James S.A. Corey – Actes Sud, collection « Babel », 2016 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Thierry Arson)