En matière d’anticipation sociale et politique, la collection « Dyschroniques » propose une belle sélection de récits. Réédition de textes parus jadis dans des anthologies, des recueils ou des revues, désormais uniquement disponibles sur le marché de l’occasion, ou inédits, plus rares convenons-en, le Passager clandestin ne trahit pas la déclaration d’intention de la collection, cherchant à dévoiler des futurs d’hier aux accents hélas contemporains.
Paru un an après la catastrophe de Tchernobyl, Pleurons sous la Pluie est une nouvelle de Tanith Lee, sans doute plus connue des amateurs d’Imaginaire pour sa Fantasy maniérée. L’autrice britannique nous immerge dans le monde d’après, celui des retombées radioactive et des pluies malsaines d’un climat détraqué. Une simple averse, des vents plus forts que d’habitude exposent ainsi le quidam aux fatales conséquences des radionucléides. Garder son corps indemne, prolonger son existence du mieux qu’on peut semble un défi insurmontable pour les familles pauvres exposées à un ruissellement plus funeste que celui promis par les apôtres du néolibéralisme. Ce monde est celui dans lequel vit Greena, jeune fille contrainte de subsister sous le joug et le regard d’une mère tyrannique, ne souhaitant que lui offrir un avenir meilleur que le sien, chez les riches vivant à l’abri du dôme d’où ils ne sortent jamais.
En peu de pages, Tanith Lee pousse très loin le principe de la ségrégation socio-spatiale et des Gated Community. Condamnés à une vie précaire et une espérance de vie raccourcie, retombées radioactives et dérèglement climatique obligent, les plus pauvres ne voient leur salut qu’en vendant leurs enfants. Mais, au grand dam des thuriféraires du Grand Soir, nul sentiment de révolte ne semble vouloir l’emporter sur la résignation générale et le fatalisme. Bien au contraire, une ironie cruelle prévaut tout au long du récit, l’autrice ne ménageant guère d’échappatoire aux personnages.
Au lecteur de découvrir maintenant dans nouvelle de plus de trente ans, bien des maux de notre présent, celui dans lequel notre inaction nous plonge inexorablement et dont nous sommes les spectateurs au quotidien.
Pleurons sous la Pluie (Crying in the Rain, 1988) – Tanith Lee – Le Passager clandestin, collection « Dyschroniques », 2024 (nouvelle traduite de l’anglais par Iawa Tate)